Comment les modèles de la mémoire peuvent aider les thérapeutes TCC : le jeu AVOP

Le modèle de la mémoire en réseau proposé par Gordon H. Bower dans les années 1980 offre un cadre intéressant pour explorer l'influence des émotions sur notre mémoire et nos pensées. Cet article présente ce modèle et explique comment l'exploiter en thérapie à l'aide d'un jeu thérapeutique.

Le modèle de la mémoire en réseau de Bower

Le modèle de Bower repose sur l'idée que les émotions agissent comme des unités de mémoire qui s'associent à des événements vécus. Selon ce modèle, lorsque nous ressentons une émotion, celle-ci active un nœud dans notre réseau de mémoire qui est lié à d'autres nœuds associés à des expériences similaires. 

Les points clés du modèle :

Réseau associatif : La mémoire est organisée comme un réseau de concepts et de schémas. Les événements sont représentés par des propositions qui établissent des liens entre ces concepts. Par exemple, l'événement "Marie m'a embrassé" serait encodé par des liens entre les concepts de Marie, de soi et d'embrasser.

Noeuds émotionnels : Chaque émotion (joie, tristesse, peur, etc.) possède un nœud spécifique dans ce réseau. Ce nœud est associé à des réactions physiologiques, des comportements et des situations typiques qui évoquent cette émotion. Les émotions sont aussi liées aux événements vécus lors desquels elles ont été ressenties. 

Activation et propagation : L'activation d'un concept ou d'une émotion se propage aux nœuds associés. Cette propagation est à la base des processus de pensée et de rappel. Par exemple, si on active le concept de "Marie", cela peut mener à l'activation de l'événement "Marie m'a embrassé". De même, l'activation d'un nœud émotionnel facilite le rappel d'événements associés à cette émotion.

Inhibition réciproque : Chaque noeud émotionnel peut inhiber réciproquement un noeud d'une émotion de qualité opposée. Par exemple, l'activation de la tristesse inhibe le noeud joie. 

Mémoire dépendante de l'état émotionnel : Les événements appris dans un certain état émotionnel sont plus facilement rappelés lorsque l'on se trouve à nouveau dans cet état. Ceci est dû au fait que l'émotion agit comme un indice de récupération. Quand on se souvient d’un événement en étant dans le même état émotionnel qu’au moment de l’apprentissage, l’activation du nœud émotionnel active les noeuds "souvenirs" associés. Cela se traduit par un meilleur rappel. Si l’état émotionnel est différent entre l’apprentissage et le rappel, le rappel est moins efficace car il y a moins de co-activation entre l’état et le souvenir. 

Congruence émotionnelle : Les informations qui correspondent à notre humeur actuelle sont plus saillantes et mieux mémorisées. Par exemple, une personne triste aura plus de facilité à se souvenir d'événements tristes, tandis qu'une personne joyeuse se souviendra davantage des événements joyeux. Cette congruence émotionnelle s'explique par le fait que l'émotion actuelle active les souvenirs qui lui sont associés, ce qui renforce l'encodage et le rappel des informations congruentes.

Effets sur les processus cognitifs : Les émotions influencent d'autres processus cognitifs tels que les associations libres, les interprétations de situations ambiguës, les jugements rapides etc. Par exemple, une personne triste aura tendance à produire des associations verbales et des interprétations plus négatives qu'une personne joyeuse.

Ce modèle met en évidence que les émotions ne sont pas seulement des ressentis, mais qu’elles sont intégrées dans la structure de notre mémoire et qu'elles influencent activement nos pensées, nos souvenirs et nos perceptions. Ce modèle fournit un cadre théorique pour comprendre comment les émotions peuvent influencer notre comportement, allant de la simple mémorisation d’une liste de mots aux souvenirs d'enfance en passant par l’interprétation des situations actuelles.

Application du modèle : le jeu AVOP 

En exploitant les points clés du modèle de Bower, nous pouvons imaginer un jeu d'Associations Verbales Orientées Positivement (AVOP) dont les règles sont les suivantes :

Un mot est proposé par le·a thérapeute.
Le patient ou la patiente doit répondre avec un mot ayant un lien positif et expliciter ce lien.
Le thérapeute répond par "Oui", "Non" ou "Pourquoi".
Les mêmes réponses ne peuvent pas être utilisées deux fois.

Exemple 1 :

Thérapeute : Lampadaire
Patient : Banc - parce que je me rappelle d'une soirée d'été avec mon amie à refaire le monde où nous étions assis sur un banc sous un lampadaire et c'était chouette.
Thérapeute : Oui.

Exemple 2 :

Thérapeute : Lampadaire
Patient : Banc.
Thérapeute : Pourquoi ?
Patient : Parce que je me rappelle d'une soirée d'été avec mon amie à refaire le monde où nous étions assis sur un banc sous un lampadaire.

Exemple 3 :

Thérapeute : Lampadaire
Patient : Banc. Parce qu'il y a un banc en face de chez moi et quand je regarde les gens dessus je me sens seul.
Thérapeute : Non. 

Les premières sessions de jeu se font avec des mots neutres. Lorsque la personne est à l'aise avec le jeu, le ou la thérapeute peut intégrer des mots à valence de plus en plus négative et liés à des problématiques personnelles. Cela permet à la personne d'activer des concepts négatifs dans un cadre où elle est entraînée à chercher des alternatives positives ce qui va créer de nouvelles associations entre ces concepts négatifs et des nouveaux noeuds à valence positive. 

Liens entre le jeu AVOP et les points clés du modèle de Bower :

- En activant des nœuds émotionnels positifs ciblés, les noeuds émotionnels opposés sont inhibés. Par exemple en activant le noeud "joie" à partir du mot "lampadaire", il y a une inhibition du noeud "tristesse".
- La pratique répétée du jeu aide à établir et renforcer de nouvelles connexions positives dans le réseau de mémoire, même pour des mots initialement neutres ou négatifs.
- Ce jeu vise à induire un état émotionnel plus positif chez la personne, facilitant ainsi le rappel d'autres souvenirs et associations positives grâce à la mémoire dépendante de l'état.
- Ce jeu incite à varier les réponses et à se désengager des activations de noeuds émotionnels habituels, souvent négatifs. Cela encourage la flexibilité cognitive. Cette variabilité des réponses renforce la capacité de la personne à générer des alternatives de pensées.

Autres bénéfices du jeu :

- Ce jeu aide les patient·e·s à exprimer des émotions agréables en lien avec des sujets de préoccupations.
- En s'exerçant à trouver des associations positives, la personne apprend à se désengager des pensées désagréables.
- L'aspect ludique du jeu peut améliorer l'alliance thérapeutique, car il rend la thérapie plus agréable et engageante.

Conclusion :

Le jeu AVOP se base sur le modèle de Bower en activant intentionnellement des émotions positives et en créant de nouvelles associations dans le réseau de mémoire afin de modifier les activations de noeuds habituelles (plutôt négatives) et favoriser une approche plus optimiste. Le jeu peut être personnalisé selon les besoins de la personne.

Ce jeu est facile à proposer en tâche assignée car son implémentation au quotidien est flexible et peut se faire par SMS, par mail, avec des proches, etc.

Pour aller plus loin :

L'article original de Bower : Bower, G. H. (1981). Mood and memory. American Psychologist, 36(2), 129‑148. https://doi.org/10.1037/0003-066x.36.2.129

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