- date_range 27 juin 2025
- toc Les brèves d'UMEO
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Parmi les outils classiques de la thérapie cognitive et comportementale, l’exercice du juge (ou procès intérieur) est parfois perçu comme un peu théorique, ou trop formel. Pourtant, lorsqu’il est proposé à travers une approche expérientielle, vivante et encadrée, il devient un levier de transformation, particulièrement utile pour travailler la culpabilité, l’auto-critique sévère ou les schémas de dévalorisation.
Mis en place à partir du moment où vous connaissez suffisamment vos patient·e·s et que la relation thérapeutique est suffisamment établie, cet exercice propose une mise à distance des pensées dysfonctionnelles à travers une mise en scène structurée : un véritable procès intérieur, dans lequel le·la patient·e ne subit plus ses pensées, mais apprend à les questionner et à y répondre.
Un jeu de rôle thérapeutique
L’exercice du juge s’appuie sur les fondements de la restructuration cognitive. Il mobilise tour à tour trois rôles :
Le·a procureur·e, qui incarne les pensées automatiques accusatrices ;
L’avocat·e de la défense, qui cherche à contextualiser, nuancer et contre-argumenter ;
Le·a juge, qui rend un verdict équilibré, orienté vers le changement.
Exemple de thème : « Le procès de Julia, accusée d’être une mauvaise personne. »
Ce cadre permet au·à la patient·e de ne plus parler uniquement de lui·elle-même à la première personne, mais d’en parler à la troisième personne, facilitant ainsi la distanciation émotionnelle et l’accès à des perspectives nouvelles.
⚖️Étape 1 : L’accusation
Dans un premier temps, le·la patient·e joue le rôle du·de la procureur·e, en énumérant les pensées accusatrices et les comportements jugés problématiques accompagnés de "preuves".
Ces éléments peuvent inclure :
Des auto-critiques récurrentes (« Je suis hideuse », « Je suis incapable »),
Des événements douloureux (ruptures, comportements impulsifs, échecs).
Il est important ici de laisser émerger les pensées dans un cadre sécurisant.
Par exemple :
« Les exs de Julia l'accusent de tout les maux, elle est vraiment une mauvaise personne. »
« Julia se goinfre, elle n'a vraiment aucune volonté. »
« Julia se morfond sur elle même elle n'a aucune dignité et ne changera jamais. »
⚖️ Étape 2 : La défense
Vient ensuite le moment de la défense. Le·la patient·e ou le·la thérapeute incarne un·e avocat·e empathique, bienveillant·e mais rigoureux·se, qui cherche à :
- Contre-argumenter les accusations,
- Mettre en perspective les événements,
- Introduire des éléments de réalité souvent oubliés ou déformés.
Par exemple :
« Ces ruptures sont survenues très jeunes, dans des relations peu stables. Et les exs cherchent surtout à se déculpabiliser de leurs propres erreurs »
« Julia mange pour calmer son stress, comme d’autres boivent ou fument. »
« Julia consulte un·e psy, c’est bien la preuve d’un désir de changement. »
Cette phase vise à faire émerger des pensées alternatives réalistes et acceptables pour le·la patient·e.
Il est tout à fait possible — et souvent souhaitable — d’effectuer plusieurs allers-retours entre le rôle du procureur et celui de la défense. Cela permet d’approfondir les arguments de chaque partie, d’explorer les ambivalences, et de renforcer progressivement la voix de la défense face à une critique intérieure souvent dominante. Le·la thérapeute peut guider ce va-et-vient pour maintenir un cadre sécure et éviter une escalade émotionnelle trop intense.
⚖️ Étape 3 : Le verdict
Le·la thérapeute incarne le·a juge, qui rend un verdict toujours tourné vers la responsabilité et la mobilisation, mais jamais vers la condamnation pure.
Exemple de verdict : « Aujourd’hui, Julia n’est pas coupable d’être une mauvaise personne. Elle est coupable de croire qu’elle ne peut pas changer. Je la condamne à un mois de travail supplémentaire avec son psychologue pour apprendre à transformer ses pensées de “je n’y arriverai jamais” en “je vais essayer.” »
Ce verdict, loin d’être une sentence, cherche plutôt à changer le rapport que le·la patient·e entretient avec lui·elle-même.
Pour quel·le·s patient·es proposer cet exercice ?
Cet exercice est particulièrement adapté :
- Aux patient·es souffrant de culpabilité excessive ou de forte auto-critique ;
- En présence de schémas d’échec, de honte ou d’impuissance ;
- Dans des contextes de troubles anxieux, dépressifs ou de troubles des conduites alimentaires ;
- Chez les patient·es engagé·es dans le processus thérapeutique, auprès de qui un travail sur les pensées est pertinent.
Il est préférable d’éviter cet exercice trop tôt, dans les contextes où la personne est en grande détresse aiguë, ou dans des cas de traumatisme sévère non stabilisé.
Un outil vivant, évolutif et mobilisateur
L’exercice du juge n’est pas figé. Il peut être utilisé :
- En séance, sous forme de jeu de rôle ou de travail écrit,
- En exercice entre les séances,
- Dans un cadre de thérapie de groupe, avec une mise en scène théâtralisée.
Il peut aussi être combiné avec des outils de travail cognitif, d’auto-compassion, de travail sur les valeurs ou d’exposition émotionnelle.
Ce qu’en retient le·la patient·e
À la fin de cet exercice, les patient·es ne repartent pas avec un verdict de "non coupable", mais avec une relecture plus juste, réaliste et engageante de leur propre histoire.
Ce qu’ils·elles entendent, c’est quelque chose du genre : « Tu as souffert, tu as réagi avec les ressources que tu avais… mais maintenant tu peux apprendre à faire autrement ! »
En plus de cela, les patient·e·s n'ont que très rarement l'occasion de parler négativement d'eux·elles et qu'on les écoute. Le rôle du·de la procureur·e permet aux personnes de s'exprimer y compris dans tout le mal qu'elles pensent d'elles-même.
Conclusion
Loin d’un simple outil technique, l’exercice du juge devient, lorsqu’il est utilisé avec souplesse et dans un cadre sécurisant, un véritable levier de changement. Il offre aux patient·es une occasion rare de revisiter leurs récits de vie, de confronter leurs jugements intérieurs avec bienveillance et rigueur, et d’ouvrir un espace de réconciliation avec eux·elles-mêmes.
En intégrant l'exercice du juge dans leurs thérapies, les professionnel·les peuvent accompagner leurs patient·es vers plus de clarté, de nuance et d’autonomie face à leurs pensées les plus critiques.
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