L’intolérance à l’incertitude : quand le flou devient insupportable… et comment une carte postale peut aider

Et si l'un des moteurs de l’anxiété n’était pas ce qui pourrait arriver, mais le fait de ne pas savoir ce qui va arriver ?

Derrière de nombreux troubles anxieux, on retrouve une difficulté commune : l’intolérance à l’incertitude.

Bonne nouvelle : cette intolérance, loin d’être une fatalité, peut devenir un levier thérapeutique à activer !

L’intolérance à l’incertitude dans l’anxiété : le cercle vicieux

L’intolérance à l’incertitude désigne la difficulté à accepter qu’un événement - généralement négatif - même très improbable, puisse survenir sans que l’on ait de garantie ou de contrôle dessus.

Cette intolérance à l'incertitude est source de ruminations mentales, de comportements d’évitement pour tenter de contrôler l'incontrôlable, d'une recherche constante de réassurance et d'une tension chronique face à l’ambiguïté.

Ce mécanisme est aujourd’hui reconnu comme un processus transdiagnostique. En effet, il est impliqué dans plusieurs troubles psychiques, et particulièrement dans les troubles anxieux.

Lorsque l'incertitude se manifeste, un cercle vicieux s'active :

L'intolérance à l'incertitude en augmentant l'anxiété favorise des comportements pour diminuer cette anxiété rapidement. Ces comportements sont efficaces à court terme ce qui augmente la probabilité de les remettre en place dans une situation similaire (ils sont renforcés). Le mode principal de réponse à l'anxiété devient donc la mise en place de comportements pour la gérer rapidement, ce qui empêche l'habituation à l'incertitude et à l'anxiété et alimente le cercle vicieux.

La compréhension de ce cercle vicieux par les patients et patientes est essentiel pour qu'ils et elles soient motivé·e·s à agir sur leur intolérance à l'incertitude.

Exemples d’analyses fonctionnelles : TAG, anxiété sociale, TOC et trouble panique

Voici quelques exemples d'analyses fonctionnelles mettant en avant l'intolérance à l'incertitude comme mécanisme de développement et de maintien de troubles anxieux.

TAG : 

SituationRéponseConséquences CT / LT

La personne avec qui je vis n'est pas là à l'heure prévue.   

   Pensées : "et si elle a eu un accident ?" (réponse catastrophique face à l'incertitude).

"dans le doute, mieux vaut vérifier" (règle favorisant les comportements de réassurance en situation d'incertitude).

Anxiété 8/10

Comportement : "je l'appelle jusqu'à ce qu'elle réponde".

 CT : J'ai une réponse, ce n'était rien, elle a juste croisé le voisin.

Anxiété 0/10

"Cette fois ce n'était rien".

LT : En situation d'incertitude, j'apprends que le seul moyen d'aller bien est de me rassurer.

Anxiété sociale :

SituationRéponseConséquences CT / LT

Après une soirée, je me demande si j'ai été adapté.

   Pensées : "Quand on s'est croisé au bar, Steve m'a regardé bizarrement, c'est sûr qu'il a vu que je suis inadapté" (interprétation négative d'un stimuli ambigu).

Anxiété 8/10

Comportement : "je me refais le cours de la soirée en détail pour être sûr de ne pas avoir commis d'impair".

 CT : Je cherche les moments où j'aurais pu être inadapté ce qui me donne l'impression de mieux me préparer pour les prochaines fois.

"Si j'ai vraiment commis un impair en revivant ma soirée je pourrais m'en rendre compte et appeler la personne pour m'excuser".

Anxiété 3/10

LT : En situation sociale, lorsqu'il y a une incertitude, j'apprends que le seul moyen d'aller bien est de me rassurer en ressassant le cours de la soirée.

 TOC :

SituationRéponseConséquences CT / LT

Je viens de quitter mon véhicule.

   Pensées : "est-ce que je l'ai bien fermé ?" (apparition de l'incertitude).

Anxiété 8/10

Besoin de vérifier 10/10

Comportement : "vais vérifier même si cela fait 6 fois que j'y vais".

 CT : Je suis rassuré et le besoin de vérifier diminue fortement.

"Au moins je suis sûr à 100% que la voiture est fermée".

Anxiété 3/10

Besoin de vérifier 2/10

LT : J'apprends que le seul moyen de gérer mon besoin de vérifier est d'y céder. 

Trouble panique :

SituationRéponseConséquences CT / LT

Je prévois d'aller au cinéma.

   Pensées : "Si je fais une attaque de panique il faut que je puisse gérer et y être préparé".

"J'espère qu'il y aura une place proche de la sortie" 

Anxiété 6/10 qui monte progressivement.

Comportement : "je vais y aller très en avance pour être sûr de trouver une place proche de la sortie".

 CT : Je suis rassuré et le besoin de vérifier diminue fortement.

"Au moins je suis sûr à 100% d'avoir une place proche de la sortie au cas où j'en ai besoin".

Anxiété 3/10

Besoin de vérifier 2/10

LT : J'apprends que le seul moyen de gérer mon besoin de vérifier est d'y céder. 

Avec ces analyses fonctionnelles, nous comprenons aisément que les tentatives désespérées de contrôler l'incertitude sont vaines et centrales dans le maintien des difficultés. Ainsi, réduire l'intolérance à l'incertitude permet d'agir efficacement sur les cercles vicieux et de favoriser des comportements épanouissants. 

La psychoéducation de l'intolérance à l'incertitude comme première étape pour agir

Comment apprendre à mieux tolérer l'incertitude, à vivre avec le flou, à agir même sans garantie ? 

En essayant de réduire l'incertitude, les patient·e·s peuvent avoir l'impression de se protéger, ainsi il est nécessaire dans un premier temps de proposer des exercices perçus comme tout à fait sécures même si l'anxiété est présente.

La première étape pour agir sur l'intolérance à l'incertitude est la psychoéducation. En expliquant ce qu'est l'intolérance à l'incertitude et les cercles vicieux, il est important d'insister sur le fait  que tolérer l’incertitude, ce n’est pas devenir imprudent ou insouciant. C’est développer la capacité à avancer malgré le doute, sans être paralysé·e ou contrôlé·e par lui.

« J’aimerais vous parler d’un point important que l’on retrouve chez beaucoup de personnes qui souffrent d’anxiété : c’est ce qu’on appelle l’intolérance à l’incertitude. Concrètement, cela signifie avoir beaucoup de mal à accepter qu’il existe toujours une part de flou, qu’on ne peut jamais tout contrôler ni tout prévoir. Cela peut être particulièrement difficile quand vous imaginez qu’un événement négatif – même très improbable – pourrait arriver. Pour se protéger de cette incertitude, les personnes ont tendance à mettre en place des stratégies : on rumine, on vérifie, on évite certaines situations, on cherche à se rassurer auprès des autres…

Ces comportements ont quelque chose de très logique : sur le moment, ils réduisent votre anxiété. Vous vous sentez soulagé·e. Mais à long terme, c’est comme si vous appreniez que la seule façon d’aller mieux, c’est d’éviter l’incertitude ou de la neutraliser. Résultat : à chaque nouvelle situation incertaine, l’anxiété revient encore plus vite et plus fort. C’est ce qu’on appelle un cercle vicieux : plus vous luttez contre l’incertitude, plus elle vous paraît insupportable.

Prenons quelques exemples : Si quelqu’un que vous attendez est en retard, votre première pensée peut être : “Et s’il lui était arrivé quelque chose ?”. Pour calmer l’anxiété, vous l’appelez plusieurs fois jusqu’à obtenir une réponse. Sur le moment, ça marche : vous êtes rassuré·e. Mais la prochaine fois qu’une personne est en retard, vous vous souviendrez que la solution pour aller mieux, c’est de vérifier. Ou encore, après une soirée, vous vous demandez : “Est-ce que j’ai dit quelque chose de déplacé ?”. Vous vous repassez la soirée en boucle pour être sûr·e. À court terme, vous avez l’impression d’avoir mieux compris ce qui s’est passé. Mais à long terme, cela entretient la croyance qu’il faut “revérifier” mentalement pour éviter de mal faire.

Ce qu’il est important de comprendre ici, c’est que ces tentatives de contrôle sont des pièges : elles donnent un soulagement immédiat mais elles renforcent l’intolérance à l’incertitude. La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible d’apprendre à sortir de ce cercle vicieux. Tolérer l’incertitude, cela ne veut pas dire devenir insouciant ou imprudent. Cela veut simplement dire : accepter qu’on ne peut pas tout contrôler et avancer malgré le doute. »

L'exercice des cartes postales : une exposition sécure à l’incertitude

En exposant de façon sécure et volontaire les patient·e·s à des situations d'incertitudes, un phénomène d'habituation peut opérer et il devient possible d'accompagner les personnes dans la recherche de stratégies adaptées à mettre en place face à l'incertitude.

 Étapes de l’exercice des cartes postales :

1. Se procurer quelques cartes postales typiques de vacances et les écrire :"Bonjour, j'espère que tu vas bien ! Ici il fait beau alors je t'envoie un peu de soleil. Bonne journée".

2. Choisir une adresse d'un·e inconnu·e, par exemple, quelqu'un qui a le même prénom que l'acteur·ice préféré·e dans une ville prise au hasard (les pages blanches permettent de trouver une adresse : https://www.pagesjaunes.fr/pagesblanches).

3. Envoyer les cartes postales. 

4. Avec le·a thérapeute, imaginer des scénarios positifs, neutres et négatifs sur l'effet qu'aura cette carte postale sur la personne. vous pouvez créer des scénarios très complets et ne pas s'arrêter au premier doute :

Positif : "Et si cette carte postale lui fait penser à son ami·e d'enfance qu'elle n'a pas vu depuis des années et la pousse à le·a recontacter ? Cela permettrait de recréer un lien et puis pourquoi pas que cet·te ami·e est sur le point de se marier, et demande à la personne d'être son·a témoin ? Et puis peut-être que lors de la soirée de mariage cette personne trouvera l'amour et sera heureuse jusqu'à la fin de ses jours ?".

Neutre : "Et si cette personne pense que c'est une arnaque ? Et qu'elle jette la carte en la lisant à moitié ? ensuite elle ira sur internet chercher "lettre gentille reçue par la poste, arnaque ?" et en parlera avec ses ami·e·s.".

Négatif : "Et si cette personne rencontre des difficultés dans son couple et que son·a partenaire croit que c'est une carte postale d'une relation extra-conjugale ? Et ensuite, le couple se sépare et la personne traverse une période très difficile avec un sentiment d'injustice tel qu'elle se met à consommer des stupéfiants pour gérer son émotion ? Elle pourrait même perdre la garde de ses enfants". 

A chaque étape de l'exercice, la personne note son niveau d'incertitude et d'anxiété. Avec le temps et à force de générer des scénarios divers et variés le niveau d'anxiété va progressivement diminuer alors que le niveau d'incertitude ne va que peu évoluer. 

5. Bilan de l'exercice : Avec la personne, revenir sur l'exercice et mettre en avant les différentes émotions qui ont émergées ainsi que leur évolution. Faire le constat de la différence entre ce que le·a patient·e imaginait et ce qui s'est réellement passé : le pire scénario envisagé ne se réalise généralement pas et la tolérance à l’incertitude peut s’entraîner progressivement. Enfin, réfléchissez à des situations d'incertitude que la personne peut rencontrer et quelles actions elle pourrait mettre en place pour ne plus être dans ses cercles vicieux. 

Associer l'exercice des cartes postales à d'autres techniques

Cet exercice peut tout à fait être accompagnée d'autres techniques thérapeutiques. Par exemple, il est tout à fait possible de l'associer à des méthodes de relaxation afin de faciliter l'habituation aux ressentis physiologiques. 

Conclusion vers plus de tolérance au flou et à l’imprévisible

L’intolérance à l’incertitude a un rôle important dans le développement et le maintien de l’anxiété. En effet, elle pousse à de nombreux comportements délétères - ruminations, comportements d’évitement et recherches de réassurance - qui, à leur tour, renforcent l'anxiété dans les situations incertaines.

Apprendre à tolérer l’incertitude ne signifie pas renoncer à se protéger ni devenir insouciant. C’est, retrouver une liberté d’action face à l’imprévisible, en développant une confiance dans sa capacité à faire face. Ce levier thérapeutique peut être travaillé en se confrontant de façon sécure à l'incertitude pour expérimenter de nouveaux rapports avec le doute et favoriser des comportements épanouissants pour les personnes. 

Pour aller plus loin : ressources et références

Lien entre intolérance à l’incertitude et l’anxiété (et dans une moindre mesure la dépression) : Jensen, D., Cohen, J. N., Mennin, D. S., Fresco, D. M., & Heimberg, R. G. (2016). Clarifying the unique associations among intolerance of uncertainty, anxiety, and depression. Cognitive Behaviour Therapy, 45(6), 431‑444. https://doi.org/10.1080/16506073.2016.1197308

Echelle de mesure de l'intolérance à l'incertitudehttps://extranet.inlb.qc.ca/recherche-et-innovation/orvis/eii-fiche-orvis/

Intolérance à l’incertitude et TAG guide pratique : https://uqo.ca/sites/default/files/fichiers-uqo/anxiete/guide_fr.pdf

Article fondateur du modèle de l’intolérance à l’incertitude dans le GAD : Dugas, M. J., Gagnon, F., Ladouceur, R., & Freeston, M. H. (1998). Generalized anxiety disorder : a preliminary test of a conceptual model. Behaviour Research And Therapy, 36(2), 215‑226. https://doi.org/10.1016/s0005-7967(97)00070-3

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